René Raphy, le footballeur humaniste

Faisons connaissance

Je suis né dans les bidonvilles de la zone de Saint Mandé dans la banlieue parisienne le 27 décembre 1920.

Mon père étant mort à la guerre, ma mère devait élever cinq enfants et j’ai dû travailler tôt. A cette époque c’était par les patronages que l’on faisait du sport et j’y ai commencé à jouer au football. J’ai été remarqué par M. Weisz qui m’a emmené à l’Union Sportive Suisse de Paris en minimes. Puis il a démissionné et avec de nombreux collègues nous l’avons suivi au C.A.P. (Cercle Athlétique de Paris) qui avait son siège à Créteil.

J’avais 14/15 ans et je tondais la pelouse, je séchais les maillots et gonflais les ballons, je repeignais les buts. J’avais un bon salaire (2.000 francs par mois) et je pouvais m’entraîner avec l’équipe professionnelle. Un jour, Langiller, un des joueurs du C.A.P. et capitaine de l’équipe de France se blesse. L’entraîneur autrichien Fischer (un poivrot notoire…) me dit : « tu viens dimanche et tu joues ». J’ai donc débuté à 17 ans contre Nîmes Olympique que nous battons 5-2 et je marque deux buts. Le lendemain « L’Auto », l’ancêtre de « L’Equipe », a qualifié mon match d’ailier gauche comme excellent. Et je n’ai plus quitté le groupe pro.

Malheureusement la guerre est arrivée et le football est passé au second plan. En 1942 le Stade Français et le C.A.P. fusionnent, puis deviennent l’équipe fédérale Paris-Ile de France pour le championnat national 1943/44.

Nous avions droit, le lendemain de la rencontre officielle, de jouer un match amical dit « de ravitaillement ». Les clubs que nous rencontrions nous remerciaient en nous donnant de la nourriture (des poulets, de la viande, du beurre, etc.…). Parfois nous pouvions acheter des victuailles en plus et l’un d’entre nous était désigné pour revenir en train les chercher. Une fois, au retour, j’ai été arrêté par un Allemand à la Gare d’Austerlitz. J’avais beaucoup de valises ! Il m’accuse donc de marché noir. Je réponds que mon entraîneur m’a envoyé prendre le restant de ce que nous n’avions pas pu emporter la veille. Je demande s’il aime le football et s’il va au Parc des Princes. Il me répond « oui », je sors alors ma licence et lui indique que je suis un des joueurs qu’il va voir jouer ! Je m’en suis tiré avec une toute petite taxe. En juillet 1944, l’équipe fédérale est dissoute et je continue ma carrière au Stade Français-C.A.P.

La guerre finit enfin

Je pars jouer une saison au Stade Rennais, puis l’année d’après je vais à Angers. J’y rencontre Ahmed Firoud qui va partir à Nice avec moi à la fin du championnat.

La saison 1947/48 va être superbe puisque nous montons en première division et l’engouement de la ville me rappelle un peu celui actuel. Par exemple les Etablissements Thomas et Rosset qui fabriquaient des vélos ont décidé de faire cadeau d’une bicyclette à chacun des joueurs de l’équipe. Je me souviens aussi qu’après un match à Bordeaux nous avions joué en amical le lendemain à Angoulême et, lors d’une tombola, Tylipski notre ailier avait gagné un…mouton qu’il nous a proposé de transformer en méchoui.

Défenseur des animaux comme je le suis, j’ai refusé et, l’ayant habillé d’un maillot de l’OGCN, j’ai ramené la bête en train à Nice où je l’ai surnommée « Champion ». Je l’ai confiée à M. Thibaut, le gardien du stade Saint Augustin (nous avons joué tout le championnat là-bas pour permettre la reconstruction du Ray) et à chaque entraînement je voyais ce brave mouton brouter près de nous. Je ne sais pas ce qu’il est devenu ensuite… Après notre titre, curieusement, les dirigeants vont se séparer de presque tout l’effectif. On me demande si je veux jouer un match d’essai en Italie à San Remo contre l’Inter de Milan. J’accepte et je fais un très bon match en marquant un but.

On me propose d’aller à la Fiorentina. Mais quand j’y arrive je découvre que même sur le banc des remplaçants il y a de grands joueurs. Je demande alors s’il n’y aurait pas un club de division deux ou trois où je pourrais être presque certain de jouer. Et me voilà engagé par la Sanremese. J’y fais une saison.

L’Espagne

Un jour Guirajo Garcia, qui avait déjà fait transférer en Espagne de grands joueurs français internationaux comme Hon, Domingo ou Luciano, vient me proposer justement la péninsule ibérique. Mais je n’étais pas libre car j’appartenais toujours à l’OGC Nice. Heureusement pour moi, une erreur administrative commise par le club me permet de me retrouver libéré de tout contrat et me voilà parti au Real Murcia. Je vais y rester trois ans avec beaucoup de succès et de buts.

C’est là que j’ai connu aussi ma première magouille dans le foot. Nous recevions La Corogne qui, en cas de défaite, était condamnée à la descente. Etant en milieu de tableau, nous n’avions plus aucune crainte. A la mi-temps nous menons 1-0 et arrivé dans les vestiaires j’y vois une grande agitation, des gens partout en train de discuter. Un de mes co-équipiers me dit alors « tu vois nos 4 joueurs là-bas, en seconde période ils ne vont pas toucher un ballon ! ». Et effectivement nous avons perdu 4-1. J’étais furieux et à la fin du match j’ai dit ce que je pensais à un de nos dirigeants : j’étais en droit de toucher la prime de victoire de 2.500 pesetas puisque nous menions et je ne comptais pas en rester là. Il m’a immédiatement tendu l’argent. Qu’auriez-vous fait à ma place ?

Retour à Nice

A la fin des trois saisons, ma carrière se terminant, j’ai voulu rentrer en France et je suis revenu à Nice où, grâce à des diplômes que j’avais, j’ai été professeur de gym au Lycée Masséna, mais en même temps j’étais arbitre et j’ai été sélectionné pour arbitrer un match de Coupe du Monde Universitaire qui se jouait sur la Côte. J’entraînais aussi les jeunes du Cavigal et comme j’avais de bons résultats, Armand Marino, l’un des dirigeants de l’OGC Nice est venu me proposer d’y entraîner les jeunes. Je l’ai fait pendant deux ans et certains de mes « protégés » ont été promus par Luciano dans l’équipe du Gym qu’il va mener au titre de Champion de France 1959. Quand on m’a demandé quel salaire je voulais, j’ai répondu : « aidez moi à trouver moi un appartement ». Chose dite, chose faite, et j’y vis toujours !

Propos recueillis par Michel OREGGIA

 
 
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